Aujourd’hui, je vous retrouve pour un nouvel article en droit équin, mais également en lien avec le coronavirus (d’où l’abandon temporaire des titres en bleu et doré pour du rouge, petit clin d’oeil).
Comme beaucoup de propriétaires de chevaux, ma jument est en pension. J’ai donc moi-même du faire face à mes inquiétudes pendant ces deux mois de confinement totalement inédits.
Pour ma part, ma jument est en pension pré. J’avais donc (je pense) moins d’inquiétudes que les propriétaires de chevaux en pension box, qui se demandaient si leurs chevaux seraient correctement nourris, sortis, soignés.
Des questions se posaient tout de même, par exemple pour les chevaux au pré qui étaient complémentés par leurs propriétaires, et qui a priori, n’auraient donc pas ce complément habituel.
A l’aune de ces interrogations, j’ai donc décidé d’écrire un article consacré au sort et à l’exécution des contrats de pension face au coronavirus, et surtout, au confinement.
Dans cet article seront donc abordés deux points :
- l’articulation de la responsabilité des pensions avec le cas de force majeure,
- l’exception d’inexécution et le non-paiement du prix de la pension par le propriétaire d’équidé.
M
Quid de la responsabilité des centres équestres / pensions s’ils n’ont pas pu effectuer toutes les prestations prévues au contrat de pension ?
Vous avez placé votre cheval en pension dans une structure équestre. A ce titre, vous réglez chaque mois le prix de cette pension, en l’échange de la réalisation de prestations, telles que l’hébergement de votre cheval, son alimentation, éventuellement ses soins, ses sorties, et son travail.
Pendant cette période de confinement, il est possible que la pension de votre cheval n’ait pas pu réaliser toutes les prestations prévues au contrat (qu’il soit tacite, ou écrit).
Si l’hébergement, l’alimentation et les sorties minimums ont dans la plupart des cas, été assurés, il n’en est pas de même du travail du cheval.
Pour autant, la responsabilité des structures équestres ne pourra pas forcément être recherchée, en raison de la réalisation d’un cas de force majeure.
Le cas de force majeure peut trouver à s’appliquer sauf disposition contraire prévue dans une convention écrite.
La force majeure est définie à article 1218 du Code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
Comme développé lors d’articles précédents, une situation doit donc remplir trois critères cumulatifs afin d’être qualifiée de cas de force majeure : elle doit être imprévisible, irrésistible et extérieure.
La jurisprudence a déjà eu à se pencher sur la question de la reconnaissance d’une épidémie en cas de force majeure, et ne l’avait pas admis.
Pour autant, la situation est différente en ce qui concerne le coronavirus, et la qualification de force majeure sera très certainement retenue.
La propagation du virus ainsi que le confinement inédit qui s’est décidé peuvent être à l’origine de la qualification de force majeure de la situation.
Le coronavirus remplirait donc les trois critères de la force majeure : une propagation imprévisible, une épidémie irrésistible (non soignable, non évitable), et une extériorité certaine.
Une première décision concernant la qualification du coronavirus en cas de force majeure a été rendu. En effet, par un arrêt rendu le 12 mars 2020, la Cour d’appel de Colmar qualifie le Covid-19 comme un cas de force majeure (CA Colmar, 12 mars 2020, n°20/01098).
Lorsqu’un cas de force majeure est reconnu, il a pour conséquence que la responsabilité de la partie concernée ne pourra pas être recherchée, et l’exécution des tâches rendue impossible sera suspendue.
Les parties ne pourront donc pas rechercher la responsabilité de leur cocontractant, ni résoudre le contrat sur ce fondement.
Toujours est-il que pour faire valoir la force majeure, il faudra démontrer le lien qui existe entre l’événement et l’impossibilité d’exécuter.
Les pensions ne se verront donc pas tout excusé du fait du coronavirus. Seules les tâches rendues directement impossibles du fait de l’épidémie et ses conséquences pourront être considérées comme bénéficiant de l’exonération de responsabilité dûe à un cas de force majeure.
La FFE a quant à elle, précisé pour les structures équestres, que : « Le confinement ne modifie pas les termes essentiels du contrat de pension. L’équidé qui vous est confié est sous votre garde, confinement ou non. Si des prestations supplémentaires sont fournies pendant le confinement, il faut le prévoir par écrit afin que votre contrat d’assurance prenne en charge les conséquences financières de votre responsabilité civile. Enfin, il peut être utile, pour vous protéger en cas de litige, de tenir un journal quotidien des soins et sorties pour montrer que vous continuez à vous occuper des équidés « en bon père de famille », c’est-à-dire de manière raisonnable. » [1]
Egalement, que : « En vertu du contrat de pension, l’établissement doit s’occuper de l’équidé avec les mêmes soins que pour ses propres équidés. Cela implique notamment d’assurer ses besoins physiologiques de base (alimentation, eau, hébergement…) ainsi qu’un temps de liberté suffisant. Concernant les prestations qui excèdent les besoins de première nécessité du cheval :
- le propriétaire ne peut pas exiger que l’établissement assure le travail de l’équidé gratuitement ;
- et à l’inverse, l’établissement ne saurait imposer au client un travail de l’équidé qu’il facturerait en supplément sans accord de ce dernier. » [2]
M
Quid du paiement du prix de la pension en cas d’inexécution de ses obligations par le dépositaire ?
Le propriétaire de l’équidé peut avoir l’idée de ne plus payer le prix de la pension, les prestations qu’il a souscrites n’étant plus forcément exécutées.
Il s’agit donc de la mise en oeuvre de ce que l’on appelle l’exception d’inexécution, définie à l’article 1219 du Code civil comme : « Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »
En pratique, un contrat de pension contient généralement deux facturations : l’une pour l’hébergement en lui-même du cheval (nourriture, copeaux, fourrage, sorties, éventuellement travail du cheval) qui se voit appliquer une TVA à 20 %, une autre pour l’utilisation des installations du centre équestre, soumis à une TVA de 5,5 %.
Un accord peut être mis en place et la facture réduite en conséquence en ce qui concerne la partie hébergement et travail du cheval.
Mais qu’en est-il de la partie utilisation des installations, alors qu’il est clair que le cavalier ne peut plus venir les utiliser ?
Au regard de la situation inédite que connait le monde, il est probable qu’en cas de conflit, les magistrats feront preuve de compréhension à l’égard des dépositaires de bonne foi.
Si l’on s’en tient à ce concept de bonne foi, il faut bien évidemment souligner que les professionnels du monde équin tels que les centres équestres et les pensions ont du faire face à une accumulation de travail, devant s’occuper seuls de tous les équidés placés dans leurs structures, la plupart étant normalement soignés, nourris, sortis en partie par leurs propriétaires.
Ils ont alors du faire face à une surcharge de travail, et ont du gérer des choses en sus, sans pour autant augmenter la note de leurs propriétaires.
En cas de litige, faites preuve de bonne foi et rappelez vous que les structures équestres ont (sauf exception) tout mis en oeuvre pour assurer le bien-être de leurs pensionnaires à quatre pattes.
Si malgré tout, des actions en justice fleurissaient de ce fait, le professionnel en cause pourrait invoquer le concept de la gestion d’affaires, définie aux articles 1301 et suivants du Code civil : « Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »
« Il est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir. Le juge peut, selon les circonstances, modérer l’indemnité due au maître de l’affaire en raison des fautes ou de la négligence du gérant. »
En l’occurrence, les professionnels ont donné de leur temps et de leur travail pour s’occuper des chevaux en pension dans leurs structures, et cela, dans l’intérêt des propriétaires et de leurs équidés.
En toute hypothèse, ils pourraient alors solliciter l’octroi d’une indemnité pour les services rendus.
M
Conclusion
En cette période si particulière, sachons tous (particuliers, professionnels) faire preuve de bon sens et de compréhension.
Si toutefois (et malheureusement, cela peut arriver) vos chevaux ont, durant cette période de confinement, subi de mauvais traitements, n’hésitez pas à me contacter, ou d’une manière générale, à contacter un avocat en droit équin, afin d’être conseillé au mieux sur les démarches à suivre.
Chaque situation est unique, et des solutions adaptées à chaque espèce doivent être envisagées.
M
[1] FFE, Crise sanitaire – Foire aux questions [en ligne], publié le 09 avril 2020, consulté sur ffe.com
[2] ibidem
M
Bibliographie
Institut du Droit Equin, Le sort du contrat de pension face au confinement [en ligne], publié le 06 mai 2020, consulté sur institut-droit-équin.fr, rubrique actualités
FFE, Crise sanitaire – Foire aux questions [en ligne], publié le 09 avril 2020, consulté sur ffe.com