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DROIT ÉQUIN : CHUTES DE CHEVAL, PENSIONS ET CLAUSES DE NON-RESPONSABILITÉ : Ce que disent les décisions récentes sur la responsabilité des centres équestres

Si tu me lis depuis quelque temps, tu sais déjà que j’ai consacré plusieurs articles à :

  • l’obligation de sécurité des centres équestres,
  • la mise en pension du cheval et la responsabilité du dépositaire.

Aujourd’hui, je propose un article plus pratique : on prend ces règles de base, on ouvre la jurisprudence récente, et on regarde comment les juges les appliquent très concrètement dans trois situations :

  1. une balade dramatique qui se termine par le décès d’une cavalière,
  2. une randonnée touristique mal encadrée,
  3. un cours en carrière où un simple chat déclenche une lourde fracture.

Et en bonus : un zoom sur les clauses de décharge de responsabilité dans les contrats de pension, à partir de questions que l’on me pose très souvent.

I. Rappel rapide : de quelle obligation de sécurité parle-t-on ?

Je l’expliquais en détail dans mon article : « Droit équin : Analyse de l’obligation de sécurité pesant sur les centres équestres » : https://ninalebarque-avocat.fr/droit-equin-analyse-de-lobligation-de-securite-pesant-sur-les-centres-equestres

La relation entre un centre équestre et son client est contractuelle (contrat d’enseignement, de promenade, de location de monture, etc.). Ce contrat fait naître notamment une obligation de sécurité, qui est une obligation de moyens, parfois renforcée lorsque l’on s’adresse à des touristes ou des débutants qui ignorent tout de l’équitation.

Concrètement, le club doit :

  • proposer un encadrement compétent ;
  • adapter la cavalerie et le parcours au niveau des cavaliers ;
  • fournir un matériel conforme (bombes, selles, sanglage…) ;
  • enseigner et rappeler les règles de sécurité.

En contrepartie, ce n’est pas une obligation de résultat : le centre équestre n’est pas responsable de toute chute. La victime doit prouver une faute : erreur dans le choix du cheval, défaut d’encadrement, matériel défectueux, itinéraire manifestement inadapté, etc.

Gardons cela en tête pour la lecture des trois décisions ci-dessous.

II. Promenade à cheval – Chute mortelle – Centre équestre non responsable : Cour d’appel de Lyon, 2 septembre 2025 (23/06701)

Les faits sont tragiques : Mme F. décède après une chute lors d’une promenade organisée par un centre équestre. Ses héritiers assignent l’assureur du club. Le tribunal leur donne raison, mais la cour d’appel va… les débouter.

Les proches de la victime reprochaient notamment au centre :

  • d’avoir laissé partir la cavalière au trot alors que la veille la balade s’était faite uniquement au pas ;
  • de lui avoir confié un cheval présenté comme stressé (cours l’après-midi + attente à l’attache) ;
  • de ne pas avoir tenu de registre des casques, rendant impossible la vérification de l’état du matériel ;
  • de ne pas avoir tenu compte du niveau “occasionnel” de la cavalière.

En face, l’assureur rappelait :

  • que Mme F. n’était pas une vraie débutante (équitation depuis l’enfance, balade identique la veille avec le même cheval) ;
  • que la monitrice était diplômée BPJEPS ;
  • que le cheval était réputé calme et monté depuis des années par la clientèle ;
  • qu’aucun élément ne démontrait un défaut d’équipement ou un stress particulier du cheval ;
  • que l’accident était lié à un emballement imprévisible sur le retour aux écuries.

La cour va clairement se ranger de ce côté-là :

  • elle rappelle que le centre est tenu d’une obligation de sécurité de moyens,
  • elle souligne que la cavalière avait déjà une expérience et venait de faire le même parcours avec la même monture,
  • elle considère qu’aucun lien n’est établi entre le trot, le parcours, l’absence de registre de casques… et l’emballement du cheval au galop.

En résumé, aucun manquement prouvé à l’obligation de sécurité. Le simple fait qu’un cheval s’emballe, même avec des conséquences dramatiques, ne suffit pas à engager la responsabilité du club si le niveau de la cavalière était compatible avec l’activité proposée, la monture était adaptée et connue comme calme, l’encadrement était qualifié.

Ce que cela confirme par rapport à mon précédent article : es juges restent fidèles à la logique, on ne condamne pas un centre simplement parce qu’un accident survient. La question centrale est toujours :
“Y a-t-il une faute démontrable dans l’organisation, le choix du cheval, le matériel, le parcours ?”

III. Randonnée touristique – Défaut d’organisation – Responsabilité retenue : Cour d’appel d’Amiens, 9 septembre 2025 (23/04753)

Ici, le décor est très différent.

Un cavalier, totalement novice, participe à une randonnée à cheval. Il chute violemment, subit plusieurs opérations et engage une action contre le centre. Le tribunal déboute la victime ; la cour d’appel, elle, retient la faute du club.

Qu’est-ce qui change ? Le cavalier explique :

  • qu’il n’était jamais monté à cheval ;
  • que le moniteur a fait partir le groupe au galop, sans s’assurer du niveau des participants, ni solliciter leur accord ;
  • que le sanglage n’avait pas été correctement vérifié ;
  • qu’il n’y avait pas de moyen de communication pour appeler les secours ;
  • que plusieurs avis de clients décrivaient déjà un encadrement approximatif, un manque de diplômes, et une faible prise en compte du niveau des cavaliers.

Le centre et son assureur tentent de présenter la situation comme une simple location de monture, avec formulaire internet, décharges de responsabilité, etc.

La cour ne se laisse pas convaincre, les chevaux étaient sellés et bridés par le centre, un moniteur donnait des consignes, le groupe était composé de simples touristes, dont certains ne savaient absolument pas monter, des attestations confirment que la selle bougeait et que le galop a été demandé par le moniteur.

Les magistrats concluent donc à un défaut d’organisation et d’encadrement. Le club a mis au galop un groupe comprenant un cavalier totalement débutant, sur une monture insuffisamment sanglée, sans contrôle suffisant du niveau des participants.

La responsabilité du centre est retenue, une expertise médicale est ordonnée pour chiffrer le préjudice.

On retrouve ici la distinction que j’évoquais déjà entre le loueur de chevaux pour cavaliers autonomes et l’organisateur de promenades touristiques pour non-cavaliers. Pour ces balades “loisirs” destinées à des personnes qui “ne veulent que profiter du paysage”, l’obligation de sécurité est en pratique fortement renforcée : vérification du niveau, choix des allures (on évite le galop avec un vrai débutant…), sanglage, matériel, effectifs, encadrement effectivement présent et actif.

Et surtout, les clauses de décharge de responsabilité signées en ligne sont écartées comme contrariées à l’obligation essentielle de sécurité.

IV. Leçon d’équitation – Chat dans la carrière – Centre non responsable : Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 9 octobre 2025 (23/14324)

Dans cette affaire, une adolescente de 14 ans, galop 2, chute en carrière pendant un cours. Un chat surgit, le poney fait un écart, elle tombe et se fracture l’humérus. Les parents demandent plus de 125 000 € de réparation.

Le tribunal déboute ; la cour d’appel confirme. Pourquoi ?

La cour relève que :

  • la séance se déroule en carrière extérieure clôturée,
  • la monitrice est diplômée,
  • 6 enfants seulement sont encadrés,
  • le poney est sans antécédent de comportement dangereux (attestations du vétérinaire et d’un acquéreur ultérieur),
  • l’élève a un niveau galop 2 : elle sait déjà se tenir au pas, au trot, voire au galop.

Les parents soutenaient que la carrière aurait dû être grillagée pour empêcher l’entrée de chats et que l’obligation de sécurité serait une “obligation de moyens renforcée avec présomption de faute”.

La cour répond que non, on ne peut pas exiger d’un centre qu’il rende une carrière extérieure hermétique à tout animal… et même grillagée, des oiseaux pourraient effrayer les chevaux ; l’équitation est, par nature, un sport à risque, avec un animal vivant et sensible ; l’obligation reste une obligation de moyens : c’est à la victime de prouver une faute, ce qui n’est pas le cas ici.

Ce que cela confirme : les juges ne transforment pas l’obligation de sécurité en obligation de supprimer tout aléa. Le simple surgissement imprévisible d’un chat, dans des conditions d’encadrement normales, ne suffit pas à engager la responsabilité du club. Les centres peuvent et doivent sécuriser leurs installations, mais on ne leur demandera pas l’impossible.

V. Zoom pratique : clauses de décharge dans les contrats de pension

Question très fréquente : « Un contrat de pension peut-il prévoir que le club se décharge de toute responsabilité quant à la garde du cheval ? »

Ici, on quitte le terrain de la chute du cavalier pour revenir à celui de la mise en pension du cheval, que j’avais développé dans l’article : « Droit équin : Mise en pension du cheval » : https://ninalebarque-avocat.fr/droit-equin-mise-en-pension-du-cheval

Quelques points clés :

  • Le contrat de pension est un contrat de dépôt :
    le dépositaire (le pension) a une obligation de garde, de surveillance et de soins.
  • Cette obligation est essentielle au contrat : c’est tout l’intérêt pour le propriétaire de confier son cheval.

L’article 1170 du Code civil est très clair : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Autrement dit une clause disant que le club “n’est responsable de rien” concernant la garde du cheval a toutes les chances d’être réputée non écrite, surtout lorsqu’on est face à un propriétaire non professionnel (consommateur).

La jurisprudence récente en droit des contrats et des pensions équestres va dans ce sens :

  • les clauses qui vident le contrat de sa substance ou créent un déséquilibre significatif entre les parties sont écartées,
  • certaines décisions admettent seulement que la responsabilité du dépositaire ne puisse être engagée qu’en cas de faute lourde, mais pas davantage.

En pratique, un club ne peut pas valablement écrire : « le pension ne sera jamais responsable en cas de blessure, maladie ou décès du cheval ». En revanche, il peut encadrer sa responsabilité, préciser les risques inhérents à la vie en collectivité, les limites de sa mission, les obligations du propriétaire (vaccins, vermifuges, maréchalerie…).

Ce que j’expliquais déjà dans mon article sur la pension se confirme : les clauses de non-responsabilité intégrale sont très fragiles juridiquement. Et elles ne dispensent jamais le pension de respecter son obligation de garde, de surveillance et de restitution.

Ce qu’il faut retenir, côté cavaliers et côté clubs :

Pour les cavaliers / victimes d’accident

Un accident, même grave, ne suffit pas pour obtenir réparation. Il faudra prouver une faute du centre :
mauvais choix de cheval, encadrement inadapté, itinéraire trop difficile, matériel mal entretenu, etc.

Le niveau du cavalier, le type d’activité (cours, promenade touristique, randonnée sportive) et le contexte jouent énormément.

Les clauses de décharge “club non responsable de quoi que ce soit” ne sont pas toujours opposables : n’hésitez pas à les faire relire. Cela dépendra des circonstances de fait.

Pour les centres équestres

Documentez le niveau des cavaliers, conservez les preuves de qualification des encadrants, veillez au sanglage, à l’état du matériel, à l’adaptation des allures au public, se montrer particulièrement prudents avec les balades touristiques pour non-cavaliers : c’est là que l’obligation de sécurité est la plus scrutée.

Et côté pension : bannir les clauses de “non-responsabilité absolue”, préférer une rédaction équilibrée, conforme à l’article 1170 du Code civil, bien encadrer les missions respectives du pension et du propriétaire.

En cas d’accident ou de litige en pension, n’hésitez pas à me consulter : un conseil qui connaît à la fois les chevaux et le droit fera souvent toute la différence.

Avocate en droit équin située à Pontoise, je traite tous les dossiers de Droit équin, quelle que soit votre localisation en France ou en pays limitrophe !

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