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DROIT EQUIN : MISE EN PENSION DU CHEVAL

Les relations juridiques sont omni-présentes dans le monde équestre. Si les cavaliers sont essentiellement guidés par leur passion, droit civil, droit de la responsabilité civile, et même droit spécial, régissent les relations des acteurs présents dans le monde du cheval.

Cavalière depuis l’enfance et propriétaire d’un équidé, aborder les liens unissant l’équitation et le droit me semblait intéressant, le contentieux concernant le droit équin étant en pleine expansion.

Cet article est le premier d’une série consacrée au droit équin. Il y est abordé la mise en pension du cheval. Il intéressera les propriétaires de chevaux, ainsi que les dépositaires de ces derniers.

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Nature juridique du contrat de mise en pension

Avant tout développement sur le régime régissant le contrat de mise en pension du cheval, il convient de définir la nature juridique de celui-ci.

Il pourrait être tentant de définir le contrat de mise en pension comme un contrat de bail. Or, il n’en est rien.

Le contrat de mise en pension est une convention de dépôt.

En effet, le dépôt est défini par le Code civil (article 1915 du Code civil) comme « [l’]acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature ».

La Cour de cassation a d’ailleurs confirmé cette qualification, ajoutant que le fait de nourrir le cheval et de lui prodiguer des soins ne changeait en rien la nature du contrat qui s’analyse en un dépôt au sens de l’article 1915 du Code civil [1].

Le bail quant à lui, est défini par l’article 1709 du Code civil comme « un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige à lui payer ».

Il ne s’agit alors que de la mise à disposition d’un local ou d’une pâture, sans aucune autre obligation pour le bailleur.

Ainsi, si ces deux contrats ont pour objet d’encadrer l’hébergement du cheval, ils ne sont pas source des mêmes responsabilités et obligations pour les parties.

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Obligations à la charge du dépositaire

Comme expliqué ci-dessus, le bail s’apparente d’avantage à une location de box. Il n’implique que la mise à disposition d’un box ou d’un pré, mais n’engendre aucune obligation de surveillance et d’entretien pour le bailleur.

La responsabilité du bailleur ne pourra pas être recherchée sur ces fondements en cas d’accident.

Au contraire, le contrat de dépôt induit une obligation d’hébergement, comprenant une obligation de garde, de surveillance et de soins à la charge du dépositaire.

Obligation de soins

Le dépositaire n’est pas tenu de réaliser des soins exceptionnels ou vétérinaires au cheval confié.

Toutefois, il est tenu de prodiguer à l’animal les soins normaux et d’usage habituel.

Pour exemple, le dépositaire est tenu de nourrir le cheval convenablement, sous peine d’engager sa responsabilité [2]. Il en est de même pour son obligation de surveillance [3].

En théorie, et comme l’édicte l’article 1930 du Code civil, le dépositaire ne peut pas faire usage du cheval placé en pension chez lui.

En pratique, celui qui garde l’équidé peut être amené à monter, longer, ou déplacer le cheval de son box à sa pâture. Il est ici question du bien-être du cheval. Cette pratique est communément admise dans le monde équestre, ainsi que par la jurisprudence [4].

L’accord du propriétaire devra alors être obtenu pour ces actions, au moment de la conclusion du contrat de mise en pension, afin de prévenir la survenance de tout litige éventuel.

Obligation de garde et de surveillance

Ayant la garde des animaux qui lui sont confiés, le dépositaire est tenu à une obligation de sécurité.

Ainsi, en cas d’accident, le dépositaire ne pourra se dégager de toute responsabilité qu’en rapportant la preuve de son absence de faute ou de la survenance d’un cas de force majeure (événement imprévisible, irrésistible et extérieur aux personnes concernées), ou de fait d’un tiers remplissant les trois caractères de la force majeure.

Le dépositaire est alors soumis à une obligation de moyens renforcée.

Attention, cela ne vaut pas en cas de dépôt gratuit (sans contrepartie financière versée au dépositaire autre que le remboursement des frais engagés) !

Dans le cas du dépôt gratuit, c’est au déposant de rapporter la preuve d’une faute du dépositaire, ce qui change totalement la donne !

En présence d’une convention de dépôt payant (cas le plus courant), il est difficile pour le dépositaire de se dégager de sa responsabilité en cas d’accident, la preuve de son absence de faute étant très complexe à rapporter [5].

Le dépositaire doit prouver qu’il a eu un comportement adéquat, eu égard aux usages normaux de la profession [6].

Une fois encore, le régime du dépôt gratuit s’avère plus souple, puisque le comportement du dépositaire sera cette fois-ci analysé au regard des soins qu’il aurait apporté à ses propres équidés (article 1927 du Code civil).

Obligation de restitution

Enfin, le dépositaire est tenu à une obligation de restitution (article 1937 du Code civil).

Cette obligation obéit à un régime très strict. Il s’agit d’une véritable obligation de résultat.

Le dépositaire ne peut donc s’en exonérer qu’en cas de force majeure ou fait d’un tiers répondant aux mêmes caractéristiques.

Dans les autres cas, sa responsabilité sera automatiquement mise en cause.

En cas de restitution du mauvais cheval, ou du cheval dans un état non identique à son état lors de sa mise en pension, le déposant devra uniquement rapporter la preuve de la restitution non conforme.

A partir de ce moment-là, le dépositaire verra sa responsabilité engagée, sauf à ce qu’il ramène la preuve d’un cas de force majeure.

Possibilité d’inversement de charge de la preuve

La charge de la preuve des manquements du dépositaire peut être inversées, si et seulement si :

  • un contrat écrit prévoit que la charge de la preuve incombe au déposant
  • le contrat est conclu entre deux professionnels.

Ce type de clause ne sera pas admise si l’une des deux parties n’est pas un professionnel. Il s’agira alors d’une clause défavorisant le consommateur, qui sera requalifiée en clause abusive en vertu du droit de la consommation, et sera de fait inopérante.

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Obligations à la charge du déposant

En pratique, le déposant est le propriétaire de l’équidé.

Toutefois, le dépositaire ne peut pas exiger du déposant de prouver qu’il est bel et bien le propriétaire du cheval confié (article 1938 du Code civil).

Le déposant peut donc être une autre personne que le propriétaire de l’animal.

Qu’il s’agisse du propriétaire ou non, le déposant doit répondre d’une obligation.

Paiement du prix

Qu’il s’agisse d’un dépôt gratuit ou payant, le déposant a l’obligation de rembourser au dépositaire, les frais qu’il a engagés.

En cas de dépôt gratuit, il pourra donc s’agir uniquement des sommes dépensées pour la conservation de l’animal.

En cas de dépôt payant, un forfait mensuel est généralement fixé, couvrant au minima les frais engagés par le dépositaire.

Le déposant est responsable de son cheval en cas de dommages causés au dépositaire.

… dont le défaut est sanctionné

En vertu de l’article 1948 du Code civil, en cas d’impayés, le dépositaire dispose d’un droit de rétention sur l’équidé, ainsi que sur ses documents d’identification (en pratique, ces documents sont remis au dépositaire qui garde l’animal, le temps de sa mission).

L’exercice de ce droit de rétention est soumis à de strictes conditions :

  • la dette du déposant doit être en relation directe avec le contrat de dépôt,
  • le montant de la dette doit être proportionné à l’exercice du droit de rétention (une dette d’un faible montant ne justifiera pas l’exercice du droit de rétention),
  • le droit de rétention est lié au cheval concerné par les impayés, et ne pourra en aucun cas s’exercer sur un autre cheval que celui concerné par la dette,
  • enfin, la rétention ne peut s’exercer que sur une dette composée des sommes normalement liées à l’entretien et l’hébergement du cheval (les dépenses auxquelles le déposant n’a pas consenties, ou celles sans lien avec le contrat de dépôt, ne peuvent en aucun cas justifier l’exercice de son droit de rétention par le dépositaire).

Bien que disposant d’un droit de rétention, le dépositaire ne peut en aucun cas vendre le cheval concerné par les impayés pour solder la dette du déposant.

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Conclusion

Le monde du cheval n’échappe pas aux contentieux qui découlent des relations entre différents acteurs.

Encadrer juridiquement la mise en pension du cheval est un impératif, qui évitera bien des discussions sur les obligations et responsabilités de chacun.

Afin de limiter tout quiproquo sur un litige éventuel, il est fortement recommandé de passer un contrat en bonne et due forme.

Pour un modèle de contrat de mise en pension, vous pouvez consulter le livre « Le droit du cheval et de l’équitation » (informations en bibliographie).

La rédaction d’un contrat vous permettra de sécuriser vos relations avec votre cocontractant. Les missions de chacun, le prix convenu ainsi que les modalités d’exécution du service seront fixés et éviteront des incompréhensions.

En cas de litige, la présence d’un contrat facilitera certainement la résolution de ce dernier.

Pour finir, soyez loyal et pensez au bien-être des équidés, qui ne doivent en aucun cas souffrir des conflits qui pourraient naître dans le cadre d’un contrat de mise en pension.

Respectez vos obligations, et en cas de litige allant au judiciaire, prenez un avocat !

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[1] Cass. 1re civ., 2 oct. 1980 : Bull. civ. I, n° 240 ; RTD civ. 1981, p. 405, obs. G. Cornu ; Cass. 1re civ., 10 janv. 1990, n° 87-20.231 : Bull. civ. I, n° 6 ; RTD civ. 1990, p. 517, obs. Ph. Rémy

[2] CA Douai, 6 oct. 2003 : JurisData n°2003-228011

[3] CA Caen, 17 janv. 2013 : n°11/02728, JurisData n° 213-003085

[4] CA Grenoble, 7 nov. 2001 : JurisData n° 180656

[5] Cass. 1re civ., 10 janv. 1990, Bull. n°6

[6] CA Rennes, 6 sept. 2000 : JurisData n°151854 ; CA Besançon, 30 mai 2001, Bull. IDE, sept. 2001

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Bibliographie

CARIUS Manuel, Le droit du cheval et de l’équitation, Droit de l’entreprise agricole, Agridécisions, Editions France Agricole, 2013, pages 41 à 46

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