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PRISON FERME, SURSIS, SURSIS PROBATOIRE, AMENAGEMENT DE PEINE ET MANDAT DE DEPOT, QUESACO ?

Dans l’article d’aujourd’hui, je souhaitais aborder un peu de procédure pénale, pour développer ce que j’effleurais seulement dans un article précédent, et qui me semble important d’approfondir pour les non-connaisseurs du droit pénal et surtout, du droit des peines. Cet écrit a donc pour vocation de s’adresser aux « novices » en la matière.

Souvenez-vous, je vous mettais dans mon article « La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) : le plaider coupable à la française » (à retrouver ici : https://ninalebarque-avocat.fr/la-comparution-sur-reconnaissance-prealable-de-culpabilite-crpc-le-plaider-coupable-a-la-francaise) un Astérix ainsi que la note suivante :  

« *Et oui, une peine de prison ferme est aménageable, de sorte qu’il s’agit tout de même de prison dite ferme, mais la peine n’est pas exécutée stricto sensu en prison. Ainsi, est de la prison ferme aménagée : le port d’un bracelet électronique, des travaux d’intérêt général, des jours-amende (très différent d’une amende classique), un placement en extérieur, une semi-liberté, ou encore, plus tard, une libération conditionnelle. Dès lors, soit le prévenu se voit opposer ce que l’on appelle un mandat de dépôt (= le prévenu est immédiatement incarcéré) et il ne pourra aménager sa peine que bien plus tard, après une période en prison, soit il n’est pas immédiatement incarcéré, et sa peine sera quasi-systématiquement aménagée de sorte qu’il n’ira pas en prison, ou du moins, pourra sortir pour travailler. Attention, l’aménagement n’est possible que sous certaines conditions, et sera exclu pour une peine de prison ferme de plus d’un an (loi du 24 mars 2020). »

J’ai fait preuve d’une imprécision d’ailleurs dans cet article, puisqu’il ne s’agit pas de la loi du 24 mars 2020, mais du décret du 04 mars 2020 pris en application de la loi du 23 mars 2019 et entrant en vigueur au 24 mars 2020. Ce décret est venu préciser et réformer l’aménagement des peines ainsi que les peines correctionnelles en elles-mêmes.

Vous l’aurez donc compris, une peine peut être assortie d’un sursis, d’un sursis probatoire, ou être ferme. Dans ce dernier cas, elle sera aménagée, ou non, ce qui signifie que le condamné n’ira pas forcément effectuer sa peine en milieu carcéral, dans une cellule, et ce, MEME SI SA PEINE EST FERME.

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Les grandes lignes

Tout d’abord, il convient de rappeler que la réforme entrée en vigueur le 24 mars 2020 est venue supprimer les peines d’emprisonnement fermes d’une durée inférieure ou égale à un mois. En effet, les emprisonnements courts sont inutiles, sans intérêt, avec risque de récidive au surplus. Il est beaucoup plus constructif de prononcer une peine d’un mois assortie d’un sursis simple ou d’un sursis probatoire.

Petites précisions : un sursis simple suspend l’exécution d’une peine d’emprisonnement ou même d’amende, pendant un temps. Le condamné a l’obligation de ne pas commettre de nouvelles infractions dans le délai de cinq ans, au risque de voir sa peine de sursis « tomber » et se transformer en peine ferme. Une fois le délai de cinq ans écoulé et si le condamné n’a commis aucune nouvelle infraction, sa peine sera réputée non avenue (Articles 132-29 et suivants du Code pénal).

Le sursis probatoire quant à lui, implique que le condamné respecte des obligations durant son délai de probation. En cas de non-respect de ses obligations, ou de commission d’une nouvelle infraction durant le délai probatoire, sa peine de sursis pourra être « transformée » en peine de prison ferme (Articles 132-40 et suivants du Code pénal). On dit que son sursis est « révoqué ». Pour exemple, il peut s’agir d’une obligation de soins, ou encore d’une obligation de travaux d’intérêt général, ou bien d’une interdiction d’entrer en contact avec une personne, et la liste est très longue !

Revenons maintenant au cœur du sujet. La réforme de 2020 est venue fixer des nouveaux seuils d’aménagement de peine. Ainsi, pour les peines d’emprisonnement d’1 à 6 mois fermes, l’aménagement de peine est de plein droit. Il est dit dans le texte que les juridictions de jugement aménageront directement cette peine, mais en pratique, en tout cas à Pontoise, les condamnés sont renvoyés devant le Juge d’application des peines dans les quelques semaines suivant le jugement afin que leur peine soit aménagée.

Pour les peines d’emprisonnement de 6 mois à 1 an fermes, l’aménagement est facultatif. Encore une fois, cela sera à voir devant le Juge d’application des peines.

Pour les peines d’emprisonnement au-delà d’un an, elles ne sont plus aménageables. Ce qui veut dire que les personnes condamnées à plus de 12 mois d’emprisonnement iront forcément exécuter leur peine en prison. Le seuil était avant de 24 mois, il a donc été rabaissé de moitié.

Attention, un mandat de dépôt peut être prononcé à l’encontre du condamné. Le mandat de dépôt est défini à l’article 122 alinéa 8 du Code de procédure pénale :

« Le mandat de dépôt peut être décerné à l’encontre d’une personne mise en examen et ayant fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention provisoire. Il est l’ordre donné au chef de l’établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l’encontre de laquelle il est décerné. Ce mandat permet également de rechercher ou de transférer la personne lorsqu’il lui a été précédemment notifié. »

Concrètement, lorsqu’un mandat de dépôt est prononcé à l’audience, la personne condamnée est directement et immédiatement incarcérée. Ainsi, elle ne pourra bénéficier d’aménagement ab initio, et ce, même si sa peine est inférieure à un an.

Attention toutefois, celui-ci doit être spécialement motivée lorsqu’il concerne une peine inférieure à 6 mois fermes (au regarde de la personnalité de l’auteur, des faits en question, etc).

A noter également que le condamné à plus d’un an d’emprisonnement peut se voir notifier un mandat de dépôt à effet différé, c’est-à-dire qu’il sera informé à l’audience de sa date d’incarcération, qui peut être différée jusqu’à un mois après l’audience.

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Quels sont les aménagements de peine envisageables ab initio (= dès que la peine est prononcée) ?

Une peine de moins d’un an est donc aménageable et en pratique, elle le sera quasi-systématiquement en l’absence de mandat de dépôt, les prisons étant déjà surchargées.

Le condamné se rendra donc devant le Juge d’application des peines moins d’un mois après le délibéré.

La peine pourra alors être aménagée de différentes manières (132-25 et suivants du Code pénal) :

  • Soit par un placement sous surveillance électronique, d’une durée de 15 jours à 6 mois. Le placement sous surveillance électronique consiste à avoir un bracelet électronique et à rester à domicile aux heures déterminées par le juge. Le condamné pourra continuer à avoir une activité professionnelles, se former, etc ;
  • Soit par une semi-liberté, qui est un régime particulier. Le condamné est dans un centre dédié, lié à l’administration pénitentiaire mais il peut le quitter sur des horaires déterminés, pour continuer son activité professionnelle, avec obligation de le réintégrer chaque soir pour y passer la nuit ;
  • Soit par un placement à l’extérieur, qui se rapproche de la semi-liberté, à la différence que le condamné pourra être surveillé sur son temps en extérieur.

Avant la réforme de 2020, une peine ferme était également aménageable en travaux d’intérêt général ou en jours-amendes, ce qui n’est plus le cas dorénavant. En revanche, le travail d’intérêt général et les jours-amende peuvent être prononcés à titre de peine principale, autonome.

Petite indication, le bracelet électronique est une forme d’aménagement de peine, mais il peut également être une peine prononcée à part entière : il s’agit de la détention à domicile sous surveillance électronique.

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L’aménagement de peine après exécution d’une partie de celle-ci

Vous l’avez compris, si vous êtes condamné à une peine d’emprisonnement ferme supérieure à un an, vous ne pouvez pas aménager votre peine et devez donc l’effectuer en prison.

Mais un aménagement de peine est envisageable une fois une partie de la peine ferme exécutée . Vous pouvez obtenir un aménagement après exécution des 2/3 de la peine si la peine était inférieure ou égale à cinq ans. Pour cela, vous devrez justifier d’une bonne conduite, d’un projet professionnel ou familial, de l’absence d’incidents en prison, etc…

Les aménagements envisageables à ce stade sont alors :

  • Le placement en extérieur,
  • La semi-liberté,
  • La libération conditionnelle,
  • Le placement sous surveillance électronique.

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Les peines de stage

Enfin, je souhaitais évoquer une peine peu connue du grand public, les « peines de stage », listées à l’article 131-5-1 du Code pénal :

« Lorsqu’un délit est puni d’une peine d’emprisonnement, la juridiction peut, à la place ou en même temps que l’emprisonnement, prescrire que le condamné devra accomplir, pendant une durée ne pouvant excéder un mois, un stage dont elle précise la nature, les modalités et le contenu eu égard à la nature du délit et aux circonstances dans lesquelles il a été commis.

Sauf décision contraire de la juridiction, le stage, dont le coût ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de la 3e classe, est effectué aux frais du condamné.

Le stage est exécuté dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la condamnation est définitive, sauf impossibilité résultant du comportement ou de la situation du condamné.

Les stages que peut prononcer la juridiction sont :

1° Le stage de citoyenneté, tendant à l’apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen ;

2° Le stage de sensibilisation à la sécurité routière ;

3° Le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants ;

4° Le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes ;

5° Le stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ;

6° Le stage de responsabilité parentale ;

7° Le stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes. »

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Petit retour d’expérience

Pour clore cet article, je vais revenir sur la pratique, ma pratique du droit pénal, notamment lors des comparutions immédiates, où les mandats de dépôt sont largement prononcés.

Je ferai éventuellement un article dédié aux comparutions immédiates, pour en parler plus largement. Mais en résumé : une comparution immédiate est une procédure dans laquelle le prévenu est jugé directement après sa garde à vue. Il va donc directement du commissariat/gendarmerie au tribunal, où il est jugé dans la foulée.

En tant qu’avocat de permanence, nous découvrons les dossiers en fin de matinée pour une audience dans l’après-midi. La plaidoirie est préparée sur le pouce. La stratégie de défense doit rapidement être décidée, et les arguments efficacement mis en place. Il est à noter qu’en comparution immédiate, trois quarts des dossiers finissent avec de la prison ferme. Il s’agit d’une justice rapide, adaptée aux infractions graves mais non complexes, mais dans l’ensemble plus sévère.

Pour exemple, de mon expérience des permanences pénales, (bien sur cela dépend de la personnalité de l’auteur de l’infraction, de son dossier, du contexte, des faits) je sollicite souvent en matière de violences conjugales et en alternative à une peine de prison ferme, une peine de sursis probatoire avec éloignement du domicile de la victime et interdiction d’entrer en contact avec elle, éventuellement si un problème d’alcool est présent, une obligation de soins de l’alcoolisme (peut être également pour les stupéfiants, ou même simplement un suivi psychologique), et également, un stage de sensibilisation aux violences.

Je trouve que ces mesures ont davantage de sens et peuvent s’avérer constructives pour l’avenir. J’essaie d’être le plus juste possible dans mes plaidoiries, de ne pas oublier la victime et sa sécurité, mais d’orienter les magistrats vers des peines qui ont du sens, utiles à la société et au devenir du condamné.

Les peines doivent à mon sens, être punitives mais davantage instructives.

Parfois, même avec le meilleur avocat du monde, il n’est plus possible de solliciter un sursis probatoire au lieu d’une peine de prison ferme, notamment si le casier du prévenu est déjà trop chargé. Une des premières choses que j’ai apprise lors de mes débuts en droit pénal est la règle en la matière : « Pas plus de deux sursis probatoires » ! Si le prévenu a déjà bénéficié de deux sursis probatoires lors de ses condamnations antérieures, il sera très difficile de lui faire échapper à une peine de prison ferme.

N’hésitez pas à me contacter si vous faites l’objet d’une procédure devant le Tribunal correctionnel, ou si vous êtes victime.

En espérant que vous ayez eu une lecture agréable !

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